par Eve Scholtes
Il est le plus atypique des 105 quartiers que compte la deuxième ville la plus peuplée et la plus riche d’Allemagne : Sankt Pauli cultive sa différence multi-centenaire avec insolence
La liberté, dans Sankt Pauli, c’est d’abord une avenue : Reeperbahn. L’Avenue des péchés et ses 930 m de long comptent parmi les artères les plus célèbres et les plus animées au monde. Son esprit sulfureux irrigue jusqu’aux rues adjacentes : Große Freiheit, réputée pour ses boîtes et ses strip-teases, ou Herbertstraß dont l’accès reste interdit aux femmes et aux mineurs. Seul le quartier de Pigalle à Paris pourrait rivaliser avec ce périmètre, aménagé en 1610 par le comte Ernst von Schauenberg et doté de nombreux privilèges à l’époque : liberté de religion et liberté d’exercer un métier sans faire partie d’une guilde.
L’autre modèle allemand
D’autres s’instaurent ensuite. Sankt Pauli devient le quartier des marins, le coin de la drogue et des maisons closes, jusqu’à se transformer en un repère gauchiste et libertaire avant de s’assagir et devenir branché aujourd’hui. Si les odeurs de révolte et de luxure s’atténuent, la vie continue toutefois de bouillonner nuit et jour tout au long de Reeperbahn. La voie de circulation regorge de commerces branchés et d’établissements érotiques. Les vendeurs de kebab côtoient des snack-bars asiatiques, les bars pour yuppies des boîtes punk. Ici les habitants historiques, autochtones depuis toujours, et les familles immigrées se mêlent aux fans de mode et aux marginaux, tandis que le Fußball Klub Sankt Pauli affiche son emblème – une tête de mort blanche sur fond noir – comme un vibrant appel à la liberté. Le club de football, fondé en 1910, est à l’image du quartier : alternatif, fier de ses valeurs de tolérance et de progrès, uni et solidaire. La preuve avec cette collecte de dons organisée en 2014 par les supporters et les supportrices, en faveur des réfugiés en provenance de Lampedusa. La somme récoltée à l’époque – 120 000 euros en six mois – servit alors à acheter des titres de transport et des cartes Sim prépayées.
Liberté, mixité, Beatles
Mais le quartier de Sankt Pauli ne se limite pas à l’érotisme et au football. Il est le cœur d’une vie culturelle riche et avant-gardiste. Représentations théâtrales, comédies musicales et concerts affichent une belle énergie, tandis que les clubs tels que le très pointu Molotow ou le mythique Mojo attirent un public davantage féru d’électronique. Cette autre spécialité de Sankt Pauli est elle aussi ancestrale. Elle a même permis, combinée au souffle de liberté qui balaie le quartier depuis presque cinq siècles, de roder le jeu de scène de quatre jeunes garçons pas encore complètement dans le vent entre 1960 et 1962 : les Beatles. Deux d’entre eux, Paul McCartney et Pete Best, ont d’ailleurs fini en 1960, pendant trois heures, à la Davidwache qui est depuis ce jour le commissariat de quartier le plus connu et le plus visité au monde.