De l’Allemagne nazie à l’éclatement du bloc de l’Est, la capitale
de la Pologne fut longtemps meurtrie. Elle s’est relevée de ses cendres et bouillonne de vie
Thomas Villepreux
Les Varsoviens ont coutume de dire que leur fleuve, la Vistule, sépare l’Europe de l’Ouest de celle de l’Est, voire l’Ouest de l’Asie. Une légende raconte qu’au début du XXe siècle, deux voyageurs partagèrent un sentiment d’accomplissement en arrivant ici. L’un partait de Paris et gagnait Saint-Pétersbourg. L’autre suivait le chemin inverse. Bien sûr, ils se croisèrent à Varsovie. Et dirent : « Nous sommes tous les deux arrivés. »
Coincés entre deux blocs, passés d’Hitler à Staline, puis du communisme au libéralisme, les Polonais reviennent de loin. Et font preuve d’un recul épatant. Il faut dire qu’ils sont rompus à ces grands écarts, illustrés un
peu partout dans la ville. Par exemple, l’ancien siège du Parti communiste de Varsovie, devenu la Bourse de Pologne, est aujourd’hui l’incarnation du capitalisme, avec ses boutiques Ferrari, Mont-Blanc, etc.
La nature en ville
Dans le même ordre d’idées, c’est dans le bâtiment aujourd’hui utilisé par le ministère de la Justice que les anciens insurgés furent torturés. Après la barbarie nazie et la terreur stalinienne, la Pologne s’est reconstruite… Enfin, surtout Varsovie – Cracovie, l’ancienne capitale, fut beaucoup moins touchée –, qui fait aujourd’hui figure de ville émergente.
Dans le quartier de Praga, la Soho Factory en témoigne. On y trouve des start-up, le musée du Néon – grâce à un Irlandais qui avait conservé des enseignes lumineuses jugées obsolètes –, un quartier de designers et le premier restaurant à ouvrir 24 h/24.
Détruite à 84 % par les nazis, Varsovie s’est donc relevée de ses ruines. Les gratte-ciel modernes y côtoient les rares monuments d’avant-guerre préservés, ainsi que d’imposants bâtiments érigés sous l’ère communiste. Il y fait bon vivre, d’autant que la capitale polonaise consacre un tiers de sa superficie aux espaces verts.
Dans les immenses jardins royaux de Lazienki, où le dernier monarque polonais aimait chasser, il n’est pas rare de croiser des chevreuils, écureuils, paons et autres renards. Lazienki avait offert ce domaine au peuple, à la condition de proscrire son découpage en tranches. Un vœu toujours respecté.
Chopin superstar
Aujourd’hui, cet endroit n’a presque pas changé, d’autant qu’il servait de base arrière aux occupants. Sous le règne des Poniatowski, à la fn du XVIIIe siècle, le roi y avait commandé une réplique du théâtre de Baalbek, au Liban. Près du Palais sur l’eau (à ne pas manquer), tous les défauts du monument antique furent conservés lorsque fut édifiée sa jumelle. « Puisque celle-ci ne leur était d’aucune utilité, les Allemands auraient pu la détruire, raconte la guide Hanna Dzielinska. Mais ils furent dupés, croyant qu’un barbare polonais l’avait déjà abîmée. Ils décidèrent ainsi de la laisser en l’état. »
Ce ne fut pas le cas de la magistrale statue de Frédéric Chopin, elle aussi installée dans les jardins royaux. Détruite, puis remplacée par une représentation de Wagner – le compositeur préféré d’Hitler –, elle a regagné le parc sous la forme d’une copie parfaite, réalisée à partir des morceaux retrouvés de la statue initiale. Chaque été, devant cette réplique, de grands pianistes se pressent pour faire vivre l’œuvre du virtuose. L’occasion donnée aux Varsoviens de se prélasser en musique sur cet espace vert.
L’esprit libre
C’est ainsi que Varsovie vibre. Ses habitants mettent le nez dehors, au restaurant, dans les parcs et les musées. L’été, sur les plages naturelles de la Vistule, ils adorent prendre un bain de soleil chez eux, à 350 km de la Baltique. Il y fait beau et chaud. Et des animations (musique, théâtre, guinguette) rendent ce tableau encore plus magique. Le street art s’est invité non loin.
Varsovie est la Cracovie détruite, un brin newyorkaise et presque berlinoise au regard de son bouillonnement économique et culturel. Si elle pense son futur, elle entretient aussi le culte de ses enfants : Marie Curie, Nicolas Copernic ou encore Frédéric Chopin.