par Eve Scholtes
Tandis que la Colombie travaille à tourner la page de la guerre et de l’insécurité, la cité portuaire protège depuis un demi-millénaire son chic colonial et sa paisible figure
« L’Héroïque ». Voilà comment Simon Bolivar, l’homme qui libéra du joug espagnol une grande partie de l’Amérique latine au XIXe siècle, qualifie cette place forte installée aux confins septentrionaux de la Colombie, face à la mer des Caraïbes, et ceinturée d’une muraille longue de 11 km. « El Libertador » salue le fort caractère et la résistance de cette cité qui affronta autant la colonisation que les sièges des pirates et des corsaires, avant de compter parmi les premières à s’émanciper de l’Espagne. Carthagène semble encore sur ses gardes, prêt à parer tout nouvel assaut. Les remparts de pierre, ponctués de fortifications et de bastions, sont intacts. Leur silhouette massive répond à l’imposant château de San Felipe pour rappeler un passé guerrier et victorieux jusqu’à aujourd’hui. Depuis leur fondation au XVIe siècle, ils forment une barrière de protection contre les effets néfastes du temps.
Un rempart de fraîcheur
La « Perle des Caraïbes » arbore un style baroque que viennent relever des façades tantôt bleu roi ou terre de Sienne. Les maisons s’habillent de balcons colorés et sculptés, inondés par des cascades de bougainvillées ou de bignones qui s’agitent à chaque lever de soleil, lorsque l’air de la mer vient rafraîchir le dédale des petites rues où se cachent des palais andalous réhabilités en boutiques-hôtels et des couvents. Qu’il soit d’inspiration indienne, créole ou espagnole, le chic colonial de la villégiature colombienne est une invitation à l’indolence et à l’insouciance. Le climat tropical contribue certainement beaucoup à cette architecture et à ce rythme de vie qui séduit le jeune journaliste Gabriel Garcia Marquez lorsqu’il arrive en 1948 à la rédaction de « El Universal », avant d’inspirer l’auteur de « Cent ans de solitude » et de « L’Amour au temps du choléra », récompensé en 1982 par un prix Nobel de littérature. La chaleur et l’humidité ont rendu nécessaires les arcades qui ceinturent les « plazas », les patios, les fontaines ou les jardins intérieurs, tandis que les vendeurs ambulants distribuent aujourd’hui encore des jus de citron glacés ou des morceaux de mangue croquants pour désaltérer le quidam de passage.
Un havre de tranquillité
Le bâtiment le plus emblématique de cette dolce vita latine reste l’ancien couvent des Clarisses. Si les murs épais abritent depuis 1995 un hôtel de luxe à la décoration très contemporaine, le Sofitel Santa Clara, l’esprit et la lettre demeurent. La terrasse fait face à la mer pour mieux aspirer la brise marine. Le patio, lui, offre arches et jardin pour déjouer des températures qui peuvent atteindre jusqu’à 45°C entre avril et août. La tentation reste grande de comparer Carthagène des Indes à une cousine cubaine comme La Havane, ou brésilienne comme Salvador de Bahia. Mais la villégiature colombienne est unique. Son inaltérable beauté et son immuable tranquillité attirent de plus en plus les classes huppées du pays, des États-Unis et de la France notamment. L’héroïsme que soulignait Simon Bolivar ne fait plus retentir les canons. Il fait vibrer dans un même élan des mémoires toujours vivantes, depuis celle des indigènes des Caraïbes colombiennes et des Espagnols jusqu’à celle des esclaves noirs amenés depuis l’Afrique. Il tire cette cité, cosmopolite par nature, un peu plus vers l’éternité.