Baignée par les eaux du Pacifique, la cité américaine offre le spectacle d’un mariage réussi entre l’héritage des pionniers et des activités tournées vers l’avenir

Seattle est la plus grande ville de l’État de Washington et du nord-ouest des États-Unis. Photo Visit Seattle
La scène fait le ravissement des visiteurs. Bien campés dans leurs bottes, des poissonniers bâtis comme des fûts de séquoia se lancent et se relancent des poissons entiers. On se croirait devant un match de football américain des Seahawks, l’équipe de Seattle, qui officie au CenturyLink Field, à quinze « blocks » de là. Par-dessus les étals, le terrain de jeu s’avère plus étroit. Nous sommes au Pike Place Market, le poumon de l’animation de la ville. 35 000 touristes s’y pressent chaque jour à la belle saison, au risque de marcher sur les pieds des « locaux » qui viennent taper dans les montagnes de légumes et de fruits dégorgés par les vergers de la région. « Nous ne vendons que du saumon sauvage attrapé par des pêcheurs sauvages », proclame un écriteau.
Pays de cocagne
Les pêcheurs sauvages ne perdent pas la main. D’énormes pattes de crabe débordent de la glace. Les saumons royaux – les fameux chinooks du Pacifique Nord – s’alignent en rangs, offerts aux selfies qui pleuvent. Le tableau laisse une impression d’abondance et de rudesse qui puise aux racines de la ville. Perchée sur la rive du Puget Sound – un bras de mer de l’océan Pacifique – à quelque 200 kilomètres de sa voisine canadienne Vancouver, Seattle est l’épicentre d’un pays de cocagne qui s’est bâti à la sueur du front des pionniers. La cité phare de l’État de Washington affiche fièrement les marques de sa tradition de labeur, entre son port hérissé de grues gigantesques qui toisent le tissu urbain alentour, les briques de ses anciens ateliers aujourd’hui reconvertis et son Museum of History and Industry qui se dresse à Lake Union, là où les chantiers navals ont modelé le paysage. Plus au sud, Pioneer Square est le garant de cet héritage. Vieux de plus d’un siècle, ses bâtiments trapus comme le Pioneer Building et le Mutual Life Building sont autant de jalons d’une histoire qui se déchiffre encore sur les façades. C’est à cet en- droit que la destinée de Seattle a basculé, à la fin du XIXe siècle. La ruée vers l’or du Klondike a alors transformé cette bourgade tournée vers le commerce du bois en lieu d’approvisionne- ment des « stampeders », les prospecteurs qui embarquaient par dizaines de milliers vers l’Alaska et le Nord canadien.
Reconquête de l’espace urbain
C’est sur la rive la plus éloignée de Lake Union que la transformation de Seattle prend une dimension des plus concrètes. Face au centre-ville, dont les gratte-ciel miroitent au couchant, le Gas Works Park déroule ses pelouses sur le site d’une ancienne usine de gazéification dont le squelette d’acier veille sur les familles qui y pique-niquent. Si la création de ce parc public remonte au XXe siècle, les constructions nouvelles qui bourgeonnent dans les quartiers « downtown » témoignent d’une mutation urbaine qui ne cesse de s’étendre. La verrue la plus disgracieuse et la plus bruyante disparaîtra bientôt du pay- sage. L’Alaskan Way Viaduct, une autoroute aérienne qui longe le Puget Sound, devrait être renvoyée cet automne dans un tunnel qui vient d’être achevé. Elle va libérer un terrain de choix face au plan d’eau.
Cette reconquête de l’espace urbain va de pair avec l’évolution sociologique de la ville. Seattle et ses environs ont longtemps prospéré grâce à l’activité portuaire et à l’aéronautique – Boeing est implanté à Everett, à 50 kilomètres au nord. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’électricité sauvage du mouvement « grunge » est née ici au mitan des années 1980, dans cet univers d’usines cerné par une nature indomptée. Nirvana et Pearl Jam en sont les représentants les plus connus. Leur carrière est magnifiquement retracée au musée de la Culture pop (MoPOP), un musée du rock comme on en rencontre peu dans le monde.
Le Seattle d’aujourd’hui prend des couleurs high-tech à vitesse accélérée. Microsoft et Nintendo sont installés à Redmond, à côté de la ville. Le campus de la firme Amazon occupe des « blocks » entiers à South Lake Union, à proximité immédiate du centre. Connue pour son cadre de vie enchanteur, Seattle attire nombre de diplômés. Leur arrivée massive s’accompagne d’une envolée des prix de l’immobilier et de l’éviction des classes populaires. Le week-end, ce sont des norias de gens jeunes, bien portants et sans gluten qui courent dans les parcs du front de mer avant de dîner dans les restaurants branchés qui essaiment un peu partout. Seattle pète la forme et le montre sans retenue.