D’apparence tranquille, l’ancienne capitale laotienne revit, après
un passé compliqué. Pour l’apprécier, un conseil : prendre le temps – Antoine De Baecke
L e voyageur qui débarque à Luang Prabang en provenance d’une métropole comme Bangkok ou Hanoï a le sentiment de parvenir dans un havre de calme et de beauté. Enserrée par le Mékong et la rivière Nam Khan au cœur d’un paysage de montagnes karstiques verdoyantes, la ville semble avoir été oubliée par le temps à l’époque coloniale. C’est évidemment une illusion. Mais une belle illusion. Elle s’est créée au fil des années depuis le classement de la ville millénaire, ancienne capitale royale du Laos, au Patrimoine mondial de l’Unesco, en 1995. La coquetterie des ruelles pavées de briques, où les maisons traditionnelles aux piliers de teck rouge verni alternent avec les demeures coloniales au stuc blanc et aux persiennes de teintes passées, ne doit rien au hasard : la brique est un compromis imaginé par les architectes pour remplacer la terre battue d’antan. Et les persiennes sont aux couleurs définies par le protocole de protection, celles qui étaient de mise à l’époque du protectorat français à la fin du XIXe siècle : l’indigo, l’ocre, ou ce bleugris qui était utilisé par la marine. Jusqu’aux lumières douces qui le soir baignent la rue Sisavangvong, artère touristique de la ville, qui semblent coordonnées pour donner une impression d’harmonie.
Telle un phoenix
Avant, se souvient un témoin, « c’était une ville fantôme, avec des trous dans les toits et de l’herbe dans les rues », où des personnes âgées vaquaient au peu d’occupations d’une activité économique léthargique. Au XIXe siècle, les Pavillons noirs, soldats chinois démobilisés reconvertis en pirates, l’avaient pillée et incendiée ; en 1975, l’établissement du régime communiste et la déportation consécutive de la famille royale avaient presque sonné son glas. Il fallut bien des tractations afin que le classement Unesco lui redonne sa chance. Avec l’inévitable revers de la médaille : une joliesse un peu artificielle.
Désormais, le tourisme en a fait une bourgade prospère, et les jeunes gens reviennent s’y installer. Ces dernières années, le mouvement s’est accéléré : là où il était encore difficile de trouver un restaurant ouvert tard, ils alternent désormais tous les dix mètres avec des « guesthouses » de tout standing. L’excursion incontournable du mont Phousi au coucher du soleil, 300 marches pour parvenir au stupa doré et au panorama sur le Mékong, tourne parfois à la bousculade. Des règles de respect ont été édictées pour que la cérémonie du Tak Bat, le défilé aux aurores des moines en robe safran qui recueillent les offrandes des fidèles, ne vire pas à la foire au selfie. La rançon d’un succès…Mais une fois le paradoxe de l’« authenticité » digéré, le voyageur a bien des façons d’apprécier le charme indiscutable de l’endroit. Une fois parcouru, à la nuit tombée, le marché de Sisavangvong, où l’on trouve des souvenirs fabriqués en Thaïlande, en Chine ou au Vietnam, il aura à cœur de s’en éloigner, à pied ou à vélo, pour pénétrer le lacis de ruelles où l’on ne se perd pas, et de découvrir le deuxième plan de la ville, qui coexiste avec le tracé colonial : ici, les maisons entourent des espaces verts et s’organisent tel un village traditionnel.
Temples et marionnettes
Le voyageur pourra délaisser les restaurants pour s’attabler, en compagnie des locaux, dans une petite ruelle perpendiculaire au marché de nuit : l’accumulation des provendes y est un spectacle à lui tout seul. Ou encore il cherchera, face au point où le Mékong et la Nam Khan se rejoignent, cette échoppe où une dame sert la meilleure soupe au gingembre de la ville, à 11 heures, quantité limitée.
Il n’omettra pas, bien sûr, de faire le tour des quelque 80 temples de la ville. En réalité, il se contentera des plus visités, comme le Wat Mai (XVIIe siècle), décoré de rouge et d’or ou le Vat Xieng Thong (1560), au bord du Mékong, qui abrite le char funéraire royal derrière une façade aux bas-reliefs dorés… Ou il assistera aux spectacles du petit théâtre de marionnettes traditionnelles, une partie du patrimoine immatériel de la ville qui elle aussi a bénéficié d’une résurrection. Le palais royal, construit par la France entre 1904 et 1909, est un autre incontournable, avec ses airs de maison bourgeoise et sa salle du trône entièrement décorée de mosaïques de verre.
Au Laos, faire comme les Laotiens : prendre le temps. La ville mérite mieux qu’une simple halte dans un parcours organisé. Les alentours sont aussi à explorer, par exemple au guidon d’une petite moto de location. Pour les emplettes, aller aux villages de la soie ou des potiers, spécialisés dans ses artisanats, sans oublier de se baigner dans les cascades enchanteresses de Kuang Si… Ou encore mieux : « chiller » au bord du fleuve, un excellent café lao à la main, en profitant de l’atmosphère unique de la ville lavée par la pluie et brillant au soleil.
Tisser la soie soi-même
Pour les amateurs de textiles, l’ock pop tok, dont le nom signifie « l’Ouest rencontre l’Est », est un must. Situé au bord du Mékong, on y apprend et on pratique, dans un cadre magnifique, tout ce qui concerne le travail de la soie : depuis l’élevage du ver (dont les déjections donnent un excellent thé) au tissage, en passant par la teinture à base de produits naturels : pierre d’alun, teck, indigo… La fierté d’avoir réalisé sa pièce est une récompense, mais le résultat est sommaire en comparaison de celui obtenu par les ouvrières locales, dont les ouvrages sont proposés à la vente.
ockpoptok.com
La patrouille des éléphants
Le pays du « million d’éléphants » n’en compte plus guère que quelques centaines. Ils y sont victimes de la déforestation, du trafic transfrontalier, de l’exploitation touristique… Pour entrer en contact intime avec ces doux géants, le centre de Mandalao propose des randonnées pédestres en leur compagnie, plutôt que les habituelles balades sur des palanquins qui leur déforment l’échine. On pourra, d’ici à un an, s’y inscrire dans un programme visant à répertorier les ADN de chaque individu présent au Laos ainsi que leur taille, et renforcer ainsi le patrimoine génétique des groupes existants. Pour cela, selon Prasop Tipprasert, pilote du projet, on aura besoin de volontaires équipés… d’une ficelle et d’un sachet à crottes. mandalaotours.com