Jean-Christophe Wasner
On croit tout connaître de Las Vegas. Et pourtant, en faisant l’impasse sur les casinos, c’est une tout autre ville qui se révèle à vos yeux
Essayez de vous rappeler tous les clichés que vous avez déjà vus et entendus sur Las Vegas. La débauche d’argent, les casinos qui se succèdent, les clubs de strip-tease qui ont pignon sur rue, Céline Dion chantant tous les soirs au Caesar’s Palace, les limousines rutilantes qui font la queue devant les hôtels de luxe, les chapelles de mariage… Ils sont vrais. « Sin City » – la ville du péché –, on a l’impression de la connaître par cœur grâce au film « Ocean’s Eleven » ou à la série « Les Experts ».
Sauf que derrière le carton-pâte des « resorts », ces hôtels qui font aussi casino et galerie marchande, à l’écart du « Strip », cette artère bruyante longée de casinos sur plusieurs kilomètres où grillent sous le soleil brûlant du Nevada des milliers de touristes qui vont de machines à sous en tables de craps, il y a autre chose. Demandez à ceux qui vivent là-bas de vous parler de « leur » Las Vegas, et la photographie prend une tout autre tournure. Ils décrivent tous une ville pas chère, où on trouve du travail facilement et où il fait bon vivre, pour peu qu’on s’éloigne des casinos. Tiens donc…
Suivre le Colorado
S’éloigner des casinos, d’accord, mais pour aller où ? Petit cours de géographie : Las Vegas (« les prairies », en espagnol) est située dans le Nevada, en plein milieu du désert de Mojave, dans l’Ouest des États-Unis. Si cela ne vous dit rien, sachez qu’à une jetée de miles de là, un fleuve, le Colorado, s’amuse depuis quelques dizaines de millions d’années à rogner la roche sur son chemin et façonner le paysage, formant ainsi l’un des plus extraordinaires sites naturels au monde : le Grand Canyon. Difficile d’y résister.
Comme disait Clint Eastwood, « le monde se divise en deux catégories » : ceux qui y vont en voiture (quatre heures de route), et ceux qui surmontent leur peur et le survolent en hélicoptère (une demi-heure environ). Vu la chaleur, la méthode courte est préférable (1). Surtout, et c’est un de ses avantages, elle offre un point de vue incroyable sur cette formation géologique. Un plateau qui émerge du sol et creusé de sillons assez larges pour pouvoir y pénétrer et remonter le cours du Colorado, en suivant le fond dans la vallée. Tôt dans la matinée, la lumière y est extraordinaire, et les nuances du rouge de la roche contrastent avec le bleu du ciel. Sur la route du retour, le pilote vous offre un panorama du Lake Mead, gigantesque retenue d’eau artificielle créée par le Boulder Dam, autrefois plus grand barrage au monde.
Downtown, l’autre Las Vegas
Les voyages ouvrant l’appétit, on décide de retourner en ville casser la croûte. Notre chauffeur, qui explique comment Vegas est passée en trente ans de 400 000 à près de 2 millions d’habitants grâce à l’industrie du jeu, conseille de filer « downtown », le quartier où tout a commencé à la fin du XIXe siècle, pour trouver de bons burgers goûteux (lire par ailleurs). Le décor n’a effectivement rien à voir, les rues redeviennent à échelle humaine, et les bâtiments retrouvent une âme. Comme l’ancien tribunal fédéral de la ville (années 1930), où est situé le Mob Museum (2). Ce musée du crime organisé narre, grâce à une scénographie efficace qui mêle photographies, vidéos et archives de la police, l’histoire de la ville depuis sa création, l’ouverture des casinos et leurs liens avec la mafia.
De là, cap au sud sur quelques blocs en direction de Fremont Street. Ici, on est loin du luxe délirant du Strip. Des lumières toujours, mais ce sont de bonnes vieilles ampoules. Des casinos de chaque côté, encore, mais certains auraient besoin d’un bon coup de peinture. Des restaurants, également, mais plutôt ambiance « attaque-toi à ce burger de 2 kilos à 9,99$, si tu l’oses ». Et puis des camelots en plein milieu de la rue, des musiciens aux talents inégaux qui cherchent à se faire remarquer par une bonne fée. Bien sûr, il y a ce toit écran géant qui s’allume à la nuit tombée et donne à la rue piétonne un côté parc d’attractions, mais l’endroit conserve le charme désuet d’une époque où les losers mettaient le cap vers cet eldorado pour se refaire après une période de déveine. C’est peut-être, finalement, l’endroit le plus authentique de Las Vegas.
Un peu plus loin encore, à l’Arts District (3), on trouve des entrepôts reconvertis en galeries d’art ou ateliers d’artisans, des graffitis tendance latino s’exposent à chaque coin de rue, des petits cafés à la branchitude hispter affirmée poussent comme des cactus en plein désert et quelques pistes cyclables (pour peu que quelques coups de pédales en plein cagnard ne vous effraient pas).
Las Vegas, c’est aussi cela : une ville de contrastes, d’exubérances, d’improbables contradictions, où l’impossible n’existe pas. Et il serait bien dommage de s’arrêter à nos clichés et de ne pas s’y aventurer au moins une fois pour quelques jours.
(1) www.papillon.com (possibilité de combiner avec un tour en bateau sur le Colorado ; on le recommande).
(2) themobmuseum.org.
(3) www.18b.org.
RELANCE Derrière le carton-pâte des « resorts », ces hôtels qui font aussi casino et galerie marchande, à l’écart du « Strip », cette artère bruyante longée de casinos sur plusieurs kilomètres où grillent sous le soleil brûlant du Nevada des milliers de touristes qui vont de machines à sous en tables de craps, il y a autre chose