Depuis 2018, un avion assure une liaison chaque été entre cet archipel français proche du Canada et Roissy. Sur ce territoire sauvage, l’identité basque est omniprésente
Benoît Lasserre
Le 11 septembre 2019, le Boeing 737 d’ASL Airlines reliant directement les aéroports de Roissy et Saint-Pierre assurait la dernière de ses douze rotations estivales, avec, à on bord, Annick Girardin, secrétaire d’État à l’Outre-mer et surtout élue de Saint-Pierre-et-Miquelon. Un avion rempli à 100 %, preuve de l’engouement suscité par cette liaison lancée l’été précédent et qui sera reconduite cette année entre le 22 juin et le 7 septembre. Le but est évidemment de séduire le plus de Français possible et de leur faire découvrir cet archipel de 242 km2, posé sur l’Atlantique à proximité du Canada et à six heures d’avion de Paris. Jusqu’en 2018, le trajet pour Saint-Pierre passait obligatoirement par une escale à Montréal ou Halifax. De sorte que ce sont en majorité les Canadiens qui se rendaient chez ces voisins tricolores et pouvaient fièrement déclarer qu’ils avaient passé leurs vacances en France.
Le Connemara ou les Highlands
Certains Français, comme les Basques ou les Bretons, ne seront pas vraiment dépaysés dans ce territoire qui se partage entre une partie plus urbaine avec Saint-Pierre, ville de 5 500 habitants où sont regroupés les commerces, les services et l’administration, et une partie plus sauvage, avec Miquelon et ses 500 habitants et Langlade, reliées entre elles par un isthme sableux formé au XVIIIe siècle.
Les magnifiques paysages de tourbières, d’étangs, de vallons et de résineux de Miquelon évoquent le Connemara irlandais, les Highlands écossais, voire l’Aubrac « de chez nous ». C’est le paradis pour les amateurs de randonnée, surtout s’ils se font accompagner par un guide de la Maison de la nature qui connaît sa faune et sa flore sur le bout des doigts.
À Miquelon, on peut aussi visiter la seule exploitation chevrière de l’île, tenue depuis dix ans par Leïla Meïlani. « Je suis arrivée du plateau de Millevaches (19), avec mon compagnon, décédé depuis, raconte-t-elle. On a tout de suite été séduits par le lieu et on a choisi d’y installer notre exploitation qui compte aujourd’hui 40 chèvres. » Les débuts ont été difficiles. S’ils sont français par le passeport (et ils y tiennent), les Saint-Pierrais sont plutôt canadiens pour leur hospitalité sans manières et leur mode de vie. Ils consomment donc peu de produits laitiers et notamment du fromage. Mais, grâce à sa ténacité et à la qualité de sa production, Leïla a réussi à s’inviter dans les assiettes des habitants et des quelques restaurants de l’archipel, dont Le Mayou, le nom donné par les autochtones à ceux qui n’ont pas leurs racines plantées dans le sol de l’île. On y mange un délicieux homard qui, sur place, a quasiment la valeur d’une baguette de pain chez nous. Les Saint-Pierrais adorent aussi consommer le capelan, un petit poisson fumé et très salé. Les fruits et les légumes, en revanche, peu produits sur l’île et donc importés, valent beaucoup plus cher.
La prospérité grâce à la prohibition
La boisson locale, quant à elle, est la bière de spruce, une sapinette locale que le vent empêche de pousser trop haut, dont les aiguilles et les branches fermentent dans un mélange d’eau et de mélasse, donnant au breuvage un goût médicinal spécifique.
Ce n’est pas cette bière originale qui, il y a un siècle, et bien avant les droits de douane sur le vin, a chauffé à blanc les relations entre Washington et Paris. En 1920, l’alcool était interdit aux États-Unis et les Américains étaient contraints à l’abstinence. Les seuls qui tiraient leur épingle du jeu de cette période de prohibition ont été les contrebandiers et les gangsters, dont le plus célèbre est Al Capone. Grâce à la proximité géographique avec les États-Unis (moins de 1 000 kilomètres), Saint-Pierre est alors devenu une plaque tournante de l’alcool devenu illégal. Au plus fort de la prohibition, 350 000 caisses d’alcool de 12 bouteilles chacune transitaient chaque mois par Saint-Pierre, faisant la fortune des pêcheurs, qui préfèraient alors le commerce du whisky à la pêche à la morue. À cette époque, on trouvait un bar à chaque coin de rue de Saint-Pierre. Al Capone lui-même s’est rendu sur l’île; un circuit touristique passe aujourd’hui par la maison où il a dormi, un ancien hôtel où ont été tournées des scènes du film de Pierre Schoendoerffer, « Le Crabe-tambour ».
Cette nouvelle prospérité due au commerce de l’alcool a duré une dizaine d’années, jusqu’en 1933, qui signe la fin de la prohibition. L’activité de pêche n’a jamais retrouvé jamais son niveau d’antan et a décliné peu à peu. L’archipel est redevenu calme et tranquille. Aujourd’hui encore, les gendarmes qui patrouillent ne risquent pas le surmenage et ne verbalisent jamais pour un feu rouge de circulation grillé. Et pour cause, il n’y en a aucun sur l’archipel.
L’île des damnés de la mer
Jusqu’en 1931, elle s’est appelée l’île aux Chiens avant de devenir l’île aux Marins. Un nom plus respectueux pour les familles de sécheurs de morue qui vivaient sur ce bout
de terre, situé à dix minutes de bateau de Saint-Pierre. Une vie de vent et de froid, une existence de damnés de la mer. Inhabitée depuis presque soixante ans, elle est aujourd’hui peuplée seulement de touristes de passage qui viennent visiter ce hameau où subsistent quelques résidences secondaires ainsi que la magnifique église en bois construite en 1874. Celle-ci ne résonne de chants plus qu’une seule fois par an, tous les 15 août, en hommage à la Vierge Marie pour laquelle le curé de l’époque avait fait ériger une mini-réplique de la grotte de Lourdes. Les catholiques peuvent aussi y suivre un chemin de croix qui zigzague entre des stèles et longe le cimetière marin aussi beau que celui de Sète, célébré par Paul Valéry. Signe que le temps n’y a plus d’importance, une des tombes indique seulement une date de naissance, un 31 avril…
L’endroit le plus émouvant de l’île reste sans nul doute l’ancienne école, transformée en musée, comme si le temps s’y était figé. Sur le tableau noir d’époque, un texte écrit à la craie raconte le dernier jour de classe avant la fermeture définitive de l’établissement. Le 5 juillet 1963, l’instituteur y a écrit « Vive la France » puis, tête appuyée contre le mur, sans se retourner, a fait un signe aux élèves en leur lançant : « C’est fini, allez-vous-en ! »
La quatrième province basque française
C’est durant la semaine qui englobe le 15 août que Saint-Pierre-et-Miquelon fait le plein de visiteurs. Tout d’abord parce que la météo, comme dans l’Hexagone, permet de profiter pleinement de l’archipel. Ensuite, parce que la Fête basque qui s’y déroule à cette période est devenue un rendez-vous prisé des amoureux de la culture basque, extrêmement présente à Saint-Pierre. La Fête basque, qui propose compétitions de pelote, chants, danses et épreuves de force, célébrera cette année son 39e anniversaire. Elle symbolise les liens très forts qui existent entre l’archipel et l’Euskadi ; un tiers des patronymes des 6 000 habitants de ce territoire français est à consonance basque. Au XIXe siècle, pour y développer la pêche à la morue dans les eaux inhospitalières de Terre-Neuve au XIXe siècle, on a fait appel à des marins aguerris, basques ou à des
Bretons.
Ce sont eux, ainsi que des Acadiens, qui ont peuplé Saint-Pierre-et-Miquelon, même si la pêche n’est aujourd’hui plus qu’un lointain souvenir nostalgique. Certains descendants de ces aventuriers des mers assurent que Saint-Pierre-et-Miquelon pourrait être considérée comme la quatrième province basque de France.
Des traces visibles
Le magnifique fronton dénommé Zazpiak-Bat de la place Richard-Briand en témoigne. Construit en 1906 par les pêcheurs à la morue d’origine euskadienne qui voulaient conserver leurs traditions, ce fronton a brûlé quelques années plus tard et a été reconstruit. Ses proportions, ainsi que la toute neuve Euzkal Etxea (maison basque), ourraient faire envie à de nombreux villages de la Soule ou de Basse-Navarre. Le quartier de Langlade est l’autre lieu qui affiche fièrement ses origines basques. Situé entre Miquelon et Saint-Pierre, le hameau tient à préserver sa tranquillité, à l’image des « 44 hectares » au Cap-Ferret. Les maisons de vacances, cachées par les arbres, s’échelonnent depuis un parking où les propriétaires laissent leur véhicule avant de finir le trajet à pied, et avec une brouette pour transporter leurs affaires. Sur un bon nombre de ces constructions en bois flotte l’ikurrina (le drapeau rouge, vert et blanc). Il ne manque qu’un troupeau de pottoks pour se croire revenu au pays…
Les informations utiles
Y aller
Depuis Bordeaux, vol vers Montréal avec Air Canada puis avec Air Saint-Pierre.
Météo
Le climat est favorable seulement deux mois par an, en août et septembre.
Formalités
Pour les ressortissants de l’Union européenne, un passeport est nécessaire ainsi qu’une Autorisation de voyage électronique (AVE) pour pouvoir transiter via le Canada.
Devise
L’euro est la monnaie officielle. Des guichets automatiques sont disponibles
à Saint-Pierre ainsi qu’à Miquelon.
Décalage horaire
Il faut compter quatre heures de moins par rapport à l’heure française.
Bon à savoir
Pour passer d’une île à l’autre, Il existe des navettes fluviales qui partent plusieurs fois
par jour pour des traversées d’une durée d’1h15 ou d’1h30. Tarifs entre 13 et 24 euros
l’aller-retour.