A l’est de la péninsule arabique, il y a l’Eden. L’eau transforme les canyons des montagnes désertiques en oasis verdoyantes et féeriques. Ces « wadis » ont le goût du paradis.
« De l’eau ? Là-bas ? » Les monts Hajar – « montagnes de pierre » en arabe – portent bien leur nom. Du roc, de la caillasse, de la pierraille… L’imposante chaîne de montagnes qui entaille le nord du Sultanat d’Oman en offre, en veux-tu, en voilà. Culminant à 3000 mètres d’altitude, la muraille de roche semble aussi dénuée d’eau qu’un cœur de pierre de sentiments. Au nord, la mer. Au sud, le désert. Adieu le vert !
« De la vie, ici ? » De loin, vu de la mer, ou de plus près, en pleine ascension des monts Hajar, la sensation reste la même : ces montagnes ocre et abruptes sont magnifiques mais arides et stériles. Le chemin finit par laisser apparaître un hameau : une poignée de maisons encerclée de plusieurs dizaines de chèvres. Les citernes perchées sur le toit des maisons confirment que l’eau, comme partout ailleurs dans le sultanat, fait défaut.
Le végétal triomphe du minéral
Il se murmure pourtant que l’eau est bien là. Au bout d’une heure de marche, plus question de on-dit. C’est bien l’eau qui se fait entendre au fond du « wadi », de la vallée encaissée. Encore une crête à passer, avant de redescendre un peu et changer de versant. Soudain, c’est une explosion d’émeraude, d’arbres et de plantes. Tout en bas, le végétal a vaincu le minéral, la vie a gagné la partie.
C’est l’eau de là-haut, tombée sur les plateaux, qui converge dans le canyon pour le transformer en vallée verdoyante. Des palmiers dattiers, des manguiers, des jujubiers, des bananiers et l’assurance de beaux paniers de fruits. Au pied des arbres, de hautes herbes fraîches fournissent du fourrage que, chaque jour, les garçons du village vont chercher pour les chèvres restées plus haut.
Rien n’arrête l’eau, pas même ces énormes rocs blancs tombés au creux de la vallée. Comme si les montagnes environnantes, en surplomb, souhaitaient tarir le flux ou, tout du moins, retenir le précieux liquide le plus longtemps possible. De ces éboulis naissent une succession de vasques d’eaux transparentes. Le wadi Ta’ab a tenu toutes ses promesses.
Système d’irrigation ancestral
A quelques kilomètres plus à l’ouest, le wadi Tiwi est la confirmation que le jardin d’Eden existe. La présence de l’eau y est plus franche. Dès l’aval, à proximité de la plaine et de la mer, la vallée, plus large, regorge de palmiers, de bananiers et de villages en terrasses. Plus haut, en amont, c’est un entrelacs inextricable d’éboulis naturels et de murets qui soutiennent des vergers. Manguiers, orangers et citronniers fournissent ombre, fruits et parfums.
Plus vaste, plus dense qu’à Ta’ab, l’oasis de Tiwi est aussi plus travaillée par l’homme. Au quotidien, de jeunes immigrés indiens gèrent les « aflaj », ces systèmes d’irrigation ancestraux omanais. Constitués de rigoles creusées dans la terre, ils amènent l’eau des sources et des nappes phréatiques là où il faut. De simples pierres entourées de vieux vêtements multicolores font office de bouchons. Placés aux bons endroits, ils modifient le parcours et le volume de l’eau.
Des bleus, des verts, des rouges
Aussi perfectionné soit-il, le système des « aflaj » a ses limites. Seul le fond de la vallée et les versants, sur quelques mètres, sont abreuvés. En l’espace d’un mètre, c’est fini : les verts laissent la place aux ocres. La pierraille reprend ses droits. Les acacias épineux semblent guigner les bananiers en contrebas, au feuillage luisant et épanoui.
Suivre ces lignes de vie à pied n’est pas de tout repos. D’abord, ne pas se perdre, tellement la végétation est dense. Ensuite, esquiver l’extrémité des palmes extrêmement pointues. Enfin, éviter de se laisser distraire par les grenouilles ou les magnifiques fleurs violines des bananiers pour ne pas de retrouver un mètre plus bas.
Les vasques d’eau translucide se succèdent, dessinées par la chute d’énormes blocs de roche blanche. Faire trempette ici a un grand goût de paradis. Du blanc, de l’orange, du rouille… Voilà pour les tons pierre. Du turquoise, de l’azur, de l’aigue-marine, du cyan… Voilà pour les bleus. De l’émeraude, du jade, de l’opaline, de l’amande… Voilà pour les verts. Rouge vif ou bleu électrique, même les libellules qui surveillent les baignades ne déparent pas ce jardin d’Eden.