Il faut prendre le ferry au Pier 52, accomplir la traversée vers Bainbridge Island en tentant d’apercevoir les orques résidentes du Puget Sound qui batifolent (parfois) dans la baie, puis prendre la route du nord qui rejoint la péninsule Olympic. Le territoire se mérite. Enserré entre le Pacifique à l’ouest, le détroit Juan de Fuca au nord et le Puget Sound à l’est, il est resté quasiment vierge depuis l’arrivée des colons. « Les étendues montagneuses du centre de la péninsule étaient trop difficiles à atteindre. Pour cette raison, le bois n’y a jamais été exploité. La forêt primaire est restée à l’identique depuis des siècles, voire des millénaires », explique Tommy Farris, un guide de randonnée qui connaît les lieux comme sa poche.
Wapitis, pumas et ours noirs
Les arbres et les multiples créatures qu’ils abritent sont strictement protégés. Créé en 1938 sur près de 4 000 km2, l’Olympic National Park est une forteresse de la nature sauvage. Aucune route ne le traverse en son centre. Seuls quelques itinéraires de randonnée ont été tracés au cœur des Olympic Mountains, qui culminent au mont Olympus, à 2 427 mètres. L’homme n’y est pas le maître. On y croise des wapitis, des pumas, comme des ours noirs.
La route de Hurricane Ridge est l’une des seules qui autorisent un accès motorisé à un panoramique de carte postale. Elle s’achève à près de 1 600 mètres, à la porte du Visitors Center, dans un décor d’herbe rase piquetée de sapins, avec une vue époustouflante sur les principaux sommets de la chaîne. Couverts par des glaciers alimentés par les fortes précipitations venues du large, ces sommets renvoient à des paysages de haute montagne que l’altitude modérée dément.
Mais tout est dénué de mesure dans cet espace perché entre ciel et mer. Deux cents mètres plus haut, au bout du Hurricane Hill Trail, le regard plonge vers le détroit Juan de Fuca et la ville de Victoria, sur l’île de Vancouver, au Canada. Des daims pâturent dans les prairies. Sous une crête qui surplombe la route, une ourse noire accompagne ses deux petits. Plus bas encore, les eaux cristallines du lac Crescent sont entourées par une forêt moussue où les épicéas et les cyprès se lancent à l’assaut des nuages. Pour une incursion dans l’inconnu encore plus exotique, il faut aborder les montagnes par l’ouest, là où les dépressions du Pacifique sont bloquées par les sommets. Ce sont des déluges qui arrosent en permanence une nature intouchée et font jaillir du sol fougères énormes, aulnes rouges et thuyas géants de Californie. Pour un peu, en fermant les yeux, on croirait entendre approcher un brontosaure.
L’État de Washington, l’autre Californie
Un climat pluvieux, des terres grasses et des conifères : a priori, les abords du Puget Sound n’ont rien du biotope rêvé pour faire éclore des vins de qualité. Et pourtant. Méconnus en Europe, les vins de l’État de Washington sont célébrés dans l’agglomération de Seattle grâce à leur vitrine de Woodinville, une banlieue champêtre où se concentrent les wineries ouvertes par les domaines viticoles. Depuis Seattle, on traverse le lac Washing- ton en fouillant la forêt du regard pour y dénicher la maison taille XXL de Bill Gates et on oblique vers le nord sur une poignée de kilomètres. C’est là que ça se passe, à chaque coin de rue. On regarde, on déguste des rouges et des blancs, on discute avec les propriétaires et on achète dans des wineries qui ne se poussent pas du col. Les photos encadrées de Kurt Cobain y voisinent avec celles des ceps sur fond de lumière mordorée. L’aventure des wineries a démarré il y a quarante ans à Woodinville, avec les précurseurs de Chateau Ste. Michelle, qui y assemble ses blancs. Tout le monde a suivi. Les raisins viennent surtout de l’est et du sud de l’État. Les vignes sont plantées dans les vallées de la rivière Columbia et de ses affluents, au-delà de la chaîne montagneuse des Cascades, dont les hauts sommets arrêtent les nuages venus du Pacifique. Grâce à cette barrière climatique, les vignobles bénéficient de conditions propices, chaudes et sèches. Là, les jours ensoleillés se comptent au nombre de 300 en moyenne annuelle et les pluies sont dix fois inférieures aux totaux enregistrés à Seattle.