La deuxième ville d’Algérie reste le berceau d’un mouvement qui creuse les sillons de l’innovation artistique et de la liberté de pensée
Une ville, un style, un étendard. Chicago, aux Etats-Unis, affiche haut et fort son blues libérateur, tandis que la Jamaïcaine Kingston distille son reggae mystique. Mais le Vieux Continent et l’Afrique aussi savent créer de tels virus culturels, nés dans les ghettos où le peuple et la jeunesse d’un pays puisent dans une histoire et un patrimoine locaux pour mieux raconter leurs rêves et dire leurs aspirations. L’Algérie et l’Oranais comptent parmi ceux-là. L’ouest algérien est réputé pour sa douceur et sa joie de vivre, jour et nuit durant. Camus lui-même décrit Oran, sa capitale, comme somnambule et frénétique dans « Le Minotaure ou la Halte d’Oran » ; un texte publié en 1954 dans « L’Été » qui dépeint le pays natal de l’auteur. Cet esprit libre et festif enfante dès le début du précédent millénaire une expression portée par des bergers berbères : le melhoun. Cette poésie bédouine chantée s’accompagne d’instruments traditionnels tels que les tambours guellal ou les flûtes droites en roseau.
Immatériel et contestataire
Une fois cette graine semée, parce que le mot « raï » signifie « opinion » ou « vision des choses », les auteurs puisent dans la réalité pour décrire le quotidien des Algériens. Les propos du blues oranais évoluent au gré des contextes historiques, sociaux et politiques : la résistance à l’occupation française dans les années 1930, les tabous et les contradictions de la société dès les années 1920… Tandis que les voix féminines, les chikhate dont Cheikha Remitti reste l’une des figures, entrent dans la danse licencieuse du raï, les jeunes chanteurs des décennies 1980 et 1990 ou cheb perpétuent son esprit irrévérencieux. Le succès est au rendez-vous, bien au-delà des frontières de l’Algérie d’ailleurs, au point que l’État algérien reconnaît officiellement le raï en 1985 alors qu’Oran accueille le 1er festival de genre de son histoire. Rachid Taha, Khaled, Cheb Mami ou Cheb Hasni, qui sont tous des enfants de l’Oranais, occupent le haut des affiches et des classements en France comme à travers le monde. Si le raï est depuis sorti des lumières des projecteurs, sa musique et son esprit continuent de vivre. À Oran plus qu’ailleurs, où ses rythmes et ses mots résonnent quasiment partout.
L’Unesco, pour quoi faire ?
Lorsque Alger annonce cet été le dépôt d’un dossier de classement pour le raï à la liste représentative du patrimoine immatériel de l’humanité, sa volonté est de faire reconnaître ce genre musical comme « chant populaire algérien » et ses textes de poésie, tels qu’ils existaient au début du siècle dernier, comme « forme d’expression musicale et poétique féminine ». L’instance onusienne devrait rendre sa décision en 2018.