Au sud du Tennessee, une ville mythique contemple le fleuve Mississippi. Marquée par Elvis Presley, Otis Redding et Martin Luther King, la belle Memphis s’attache à raconter son histoire complexe
Stéphane C. Jonathan
Son nom seul stimule déjà l’imaginaire, et toute une mythologie américaine semble contenue dans ces deux syllabes : « Memphis » Bien davantage qu’une étape entre Nashville et Dallas, c’est une ville de légendes. La première d’entre elles porte le nom d’Hernando de Soto, un explorateur envoyé par le Roi d’Espagne pour visiter le nord des Amériques. L’histoire raconte que le 8 mai 1942, du haut d’une falaise (« river bluff » en Américain) sise sur ces terres, de Soto aurait été le premier Européen à admirer le fleuve Mississippi. L’anecdote a beau être contestée avec insistance par les historiens, la future Memphis y a gagné son premier surnom (« The Bluff City »). Et le patronyme de Soto allait plus tard baptiser un des parcs de la ville… ainsi qu’une très chic marque d’automobiles.
Aujourd’hui pourtant, la voiture ne semble pas reine dans le centre-ville rénové : Downtown Memphis a le charme discret des villes provinciales du cœur des Etats-Unis. Joliment pavées, ses artères attendent gentiment le retour d’un tramway à l’ancienne, et les larges trottoirs appellent à la déambulation paisible. Coincée dans l’angle sud-est de la carte, à un jet de pierre des états du Mississippi et de l’Arkansas, la plus peuplée des villes du Tennessee respire déjà l’air du Sud : autoproclamée « Capitale mondiale du barbecue », elle est aussi ethniquement mixte que sa rivale Nashville est blanche.
D’Elvis à Luther King
La rivalité entre les deux cités principales de l’Etat est avérée. Sportive, culturelle, touristique… Les fausses jumelles se toisent avec dédain lorsqu’elles comparent leurs atouts. Quand Nashville revendique son surnom de « Music City », Memphis rappelle qu’elle est officiellement le « lieu de naissance du rock’n roll ». C’est bien ici qu’ont été écrites les premières pages de la légende électrique : dans les locaux de Sun Studio, où Sam Philips a été le premier à enregistrer Johnny Cash, Carl Perkins, Roy Orbison, Jerry Lee Lewis… et bien sûr Elvis. Car si le gamin Presley est né quelques kilomètres plus au sud, à Tupelo, c’est à Memphis que le King allait vivre et mourir. Graceland, le manoir de l’icône quasi-mystique, se classe chaque année comme la deuxième maison la plus visitée d’Amérique. Juste après la présidentielle Maison Blanche, à Washington DC.
Idem, Beale Street n’est devancée que par Bourbon Street (à la Nouvelle-Orléans) au palmarès des rues de bars-concerts du pays. Même parmi les touristes agglutinés, le fantôme encore chaud de BB King y croise souvent celui d’Otis Redding. Memphis, trait d’union entre le blues, le rock et les soulmen de Stax Records (lire par ailleurs). Et si le mythique label incarne bien un des piliers de la « fierté noire », Memphis est surtout la ville de la dernière visite de Martin Luther King.
Fin mars 1968, le Révérant y était venu soutenir les éboueurs afro-américains, en grève pour une équité de salaire. Le 4 avril en fin d’après-midi, sur le balcon du Lorraine Motel (qui abrite aujourd’hui le passionnant Musée des droits civiques), il succombait, atteint d’un coup de feu tiré par un évadé du pénitencier du Missouri. Il était 18 h 01. L’apôtre de la paix s’écroulait, et naissait une nouvelle icône. Ici, à Memphis, ville de légendes.