par Claude Petit
Madagascar n’est pas un pays, pas même un continent, c’est un monde en lui-même. La Grande Île n’est ni tout à fait l’Afrique, ni tout à fait l’Asie. Un peu des deux…et bien plus encore
Héritage d’une histoire géologique qui, il y a 165 millions d’années, a séparé cette terre du continent africain, « Mada » comme on l’appelle affectueusement, possède le taux d’endémisme le plus élevé au monde. Nulle part ailleurs sur la planète n’existe, sur un même territoire, une telle diversité de faune et de flore. Son peuple lui, prend racine dans l’archipel indonésien d’où seraient arrivés les premiers habitants, 2 000 ans avant J-C. Vouloir cerner, en un séjour, tous les contours d’une terre faite de tant de variétés sur le plan animal et végétal, relèverait de la pure utopie. Prétendre comprendre en quelques jours la culture et les usages de ce peuple constitué de 18 groupes ethniques dont les territoires correspondent à d’anciens royaumes, également.
Aussi, l’une des meilleures façons de découvrir la diversité de cette île de près de 600 000 km2 est de partir sur la piste de cet animal unique, véritable emblème de Mada : le lémurien. On ne trouve ce primate pacifique, cousin du singe, qu’à Madagascar et nulle part ailleurs. Il en existait huit espèces, cinq n’ont pas encore disparues, mais toutes sont classées en voie d’extinction : la déforestation, qui a déjà détruit 85% de la forêt primaire de l’île, entraîne la disparition de l’habitat des lémuriens. Il faut donc se rendre au cœur cette forêt primaire à l’est ou à l’ouest de l’île pour les observer dans leur milieu naturel.
Cap à l’ouest
Bien calé dans un robuste 4X4 ‒ seul véhicule capable d’affronter la rigueur des pistes réputées les pires d’Afrique ‒, il faut d’abord emprunter la RN7, l’une des rares voies bitumées de l’île qui traverse le pays du Nord au Sud jusqu’à Antsirabe, « la Vichy malgache », ville d’eau réputée… pour sa bière. En effet, c’est de la brasserie Star qu’est expédiée la Three Horses Beer (THB) dont s’abreuve toute l’île. Cap à l’ouest sur la piste de terre N°4 qui, peu à peu, laisse derrière soi les hautes terres pour pénétrer dans la région semi-aride. Petit à petit, la forêt sèche occupe l’espace. Les baobabs surplombent de leur splendeur les épineux. Après deux jours de piste, la réserve de Marofandilia constitue un terrain d’observation privilégié. Le Camp Amoureux, qui tire son nom de deux baobabs enlacés, propose tentes et huttes en plein cœur de la forêt. De là, des expéditions nocturnes en compagnie d’un guide permettent de dénicher des microcèbes, les plus petits lémuriens connus. Ils mesurent une dizaine de centimètres, pèsent une trentaine de grammes et sortent la nuit.
À l’aube les cris des Makis ou Sifaka emplissent la forêt pendant quelques minutes : chacun signale aux autres membres du groupe sa position… et celle du garde-manger qu’il a trouvé. C’est l’heure à laquelle, en s’enfonçant dans des taillis inextricables, on peut assister à leur petit-déjeuner. Perchées dans les branches, les petits agrippés à leur fourrure, les mères tendent leurs doigts agiles vers les jeunes feuilles et les bourgeons environnants. Leur capacité à bondir d’un arbre à l’autre les prémunit des prédateurs, et leur permet d’observer les humains approcher sans se mettre en danger. Les mâles, faussement indolents, profitent des premiers rayons du soleil qui s’infiltrent dans la forêt.
Cap à l’est
Mais pour observer les derniers spécimens des plus grands des lémuriens, les Indri-indri, il faut quitter la région du canal du Mozambique, reprendre la piste de l’est, traverser l’île et gagner la forêt tropicale qui plonge dans l’océan indien. Un tout autre paysage attend le voyageur, la luxuriance de la forêt humide remplace l’austérité de la forêt sèche.
C’est dans le parc national d’Andasibe-Mantadia, après une longue approche derrière les guides du parc, qu’enfin un groupe d’Indri se laisse approcher. Le mâle trop occupé à défendre son territoire contre un jeune prétendant d’une femelle en chaleur, ignore superbement les touristes. La dissuasion fait office de stratégie, le maître du groupe gonfle le torse, joue des cordes vocales, se dresse sur ses pattes et finit par chasser l’importun. Le calme et la douceur de vivre reprennent leurs droits.