par Stéphane C. Jonathan
Faites le test en posant la question autour de vous : « de quoi le nom de Nashville est-il synonyme ? » De la country-music, bien sûr, indélébilement associée à la ville dans l’inconscient collectif et dans le monde entier. Il convient donc de tordre illico le cou aux clichés qui encombrent cette appellation. Non, la country n’est pas qu’affaire de chansons de cowboys et de folklore de western : cette catégorie embrasse tout un pan de la musique populaire américaine blanche, passée et présente. De Willie Nelson à Chris Stapleton, de Johnny Cash à Taylor Swift, de Loretta Lynn à Carrie Underwood.
Qu’ils chantent l’amour, la détresse ou la révolte, les grands tubes classés country ne se cantonnent pas à un répertoire passé ou une esthétique figée. La tradition y cohabite avec la modernité.
L’architecture de la ville témoigne de cette réalité : à la rusticité des honky-tonks (ces dizaines de bars-concerts surchauffés) de briques et de bois répondent le verre et l’acier des nouveaux gratte-ciels. En pleine expansion, Nashville semble perpétuellement peuplée de grues de chantier. Où de nouveaux immeubles modernes poussent aussi vite que hauts : en dix ans, le « skyline » sur les berges du Cumberland River, un affluent du fleuve Mississippi, a été totalement réinventé. Bureaux, hôtels, centres d’affaires ou des congrès, la ville est à la mode et attire businessmen et touristes de plus en plus nombreux. En spectaculaire essor, Nashville doit son succès à sa raison d’être, résumée dans son surnom : « Music City ».
Le pays des musiciens
L’histoire rapporte que c’est à la fin du XIXe siècle que cet alias lui a été donné. Déjà capitale de l’édition musicale, Nashville avait alors envoyé pour la première fois le groupe vocal de son université tourner à travers le vieux Monde : les Fisk Jubilee Singers avaient pour mission de collecter de l’argent pour l’éducation de jeunes Noirs, fraîchement libérés de l’esclavage par la Guerre civile. A l’issue d’un gala devant la Reine Victoria d’Angleterre, celle-ci a exprimé son enthousiasme en s’exclamant : « ces gens sont si doués qu’ils doivent venir de Music City ».
Tout juste : aussi vrai que Hollywood est la capitale du cinéma, Nashville – devant New York, Los Angeles ou New Orleans – est le centre névralgique du « music business » américain. Dans le quartier de « music-row », entre les studios d’enregistrement, toutes les maisons pavillonnaires sont occupées des éditeurs et producteurs. Les auteurs-compositeurs s’y pressent, en solo ou via leur syndicat tout puissant, avec l’espoir de placer leurs chansons et de les entendre un jour interprétées par des stars.
Un adage chauvin prétend que les meilleurs musiciens d’Amérique sont à Nashville. Et que, lorsque les moins bons d’entre eux la quittent, ils deviennent instantanément les meilleurs musiciens de la nouvelle ville où ils s’installent.
Une capitale monomaniaque
Musées généralistes ou thématiques, restaurants, boutiques, tout ici semble écrit en forme de clé de sol… Aujourd’hui, la mythique émission de radio « Grand Ole Opry » est au cœur d’un gigantesque complexe commercial, l’historique Ryman Auditorium est vénéré comme une cathédrale, et la grande Dolly Parton, qui y tient un très populaire parc nautique familial, est célébrée comme un trésor national : bienfaitrice de la ville, l’auteure-interprète de « Jolene » et « I Will Always Love You » (popularisée bien plus tard par Whitney Huston) participe au financement de plusieurs écoles et hôpitaux.
Music City bouillonne. Sur l’artère principale de Broadway et alentours, pas un bar ou restaurant où le rock ne résonne, du lever du soleil jusqu’au milieu de la nuit. Pour le meilleur et pour le kitsch. Au risque de transformer la prospère capitale monomaniaque du Tennessee, grande rivale de sa proche jumelle Memphis, en un immense parc d’attractions pour adultes mélomanes.