En cuisine, les Québécois n’oublient pas leur lointain héritage français. Ils ajoutent leur liberté de ton et de saveurs
Emmanuelle Fère
«Je me souviens », telle est la devise du Québec, apposée sur les plaques d’immatriculation de la Belle Province. Je me souviens. De mon origine. De mes racines. La gastronomie du Québec n’a pas oublié la présence française et le lointain héritage de sa cuisine. Mais nulle référence ou histoire embarrassante. Au Québec, on célèbre le goût et les bons produits avec une réjouissante liberté. « Au Québec, il faut faire quelque chose pour être quelqu’un. En France, il faut être quelqu’un pour faire quelque chose », décrète Jonathan Garnier, chef des cours de cuisine Ateliers & Saveurs à Montréal. Le ton est donné. Libre entreprise. Le Québécois ne s’en prive pas, dans l’assiette, dans le verre et souvent par l’alliance des deux, tel le mariage heureux des microbrasseries (lire par ailleurs). Que la halte se fasse dans le cadre apaisant du restaurant Fourquet Fourchette, sur les rives du bassin de Chambly, ou au Manitoba, l’un des lieux les plus décalés et urbains de Montréal, le ton est toujours juste. « Nous voulions un peu de forêt dans nos assiettes, un peu de nature dans nos verres, du bois, de la roche, du vent », promet le Manitoba. Promesse tenue avec l’alliance détonante de produits bruts : cerf, crème de malt, champignons, pommes de terre ou poireaux, bourgots, jaunes d’œuf fumés, cendre. Du jamais-goûté. Jamais vu
Les spécialistes des bulles
En visitant vignobles et vergers québécois, le cousin français ferait bien d’oublier son vieil alphabet. Sur la route des cidres et vins de glace, il pourrait même perdre son latin. Chez Michel Jodoin, à Rougemont, on distille de l’or avec la pomme : cidre de glace ou brandy de pomme. Chez le voisin Coteau
Rougemont, on goûte les vins de glace, dont le pinot gris, issu d’une petite parcelle côté sud, et ses arômes de pamplemousse, de poire confte et de miel d’acacia.
Le voyageur n’est pas au bout de ses surprises. Dans les Cantons-de-l’Est, les frères François et Jean-Paul Scieur, Champenois de sixième génération, produisent des vins effervescents à partir de la traditionnelle méthode champenoise. « On revendique d’être les spécialistes des bulles au Québec », s’exclame le patron du Cep d’Argent.
Herbes folles et insectes
Tempérament de tonnerre, aussi, que celui de Christian Bartomeuf, inventeur du cidre de glace en 1990, à Frelighsburg, près de la frontière états-unienne (Vermont), sur 35 hectares d’un verger et vignoble planté en 1979, à l’ensoleillement idéal. Le domaine Clos Saragnat, que Christian a fondé avec
sa compagne, Louise Dupuis, au printemps 2003, est un centre de recherches à la fois en vitiviniculture et en vinifcation fruitière. Le site est un éden pour l’abeille et le promeneur.
Herbes folles, insectes et nature en majesté. Sans insecticides, sans herbicides ni même irrigation, le domaine est certifié bio. « On a transposé ce qui se faisait de mieux dans la nature. Elle n’a pas besoin de nous pour exister. On plante les pommiers et on les laisse se débrouiller », avance le tenant d’une
« agriculture archaïque moderne ». Ses vins et cidres dénotent une subtile liberté.